J.O. 294 du 18 décembre 2004       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Décision n° 2004-526 du 17 décembre 2004 prononçant une sanction à l'encontre de la société Lebanese Communication Group SAL


NOR : CSAX0401526S



Le Conseil supérieur de l'audiovisuel,

Vu la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 15, 33-1 et 42 et suivants ;

Vu la convention conclue le 19 novembre 2004 entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la société Lebanese Communication Group SAL, notamment ses articles 2-3-1, 2-3-3, 4-3-2 et 4-3-4 ;

Vu la décision no 2004-349 du 30 novembre 2004 mettant en demeure la société Lebanese Communication Group SAL de se conformer à l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée et aux stipulations de l'article 2-3-1 et 2-3-3 de la convention susvisée ;

Vu la décision du 7 décembre 2004 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a décidé d'engager une procédure de sanction à l'encontre de la société Lebanese Communication Group SAL, pour des faits susceptibles de constituer des manquements aux articles 15 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée et aux stipulations des articles 2-3-1 et 2-3-3 de la convention susvisée ;

Vu les observations écrites produites le 10 décembre 2004 par la société Lebanese Communication Group SAL et le rapport de présentation en date du 14 décembre 2004, rédigé par la direction juridique du Conseil supérieur de l'audiovisuel dans le cadre de la procédure de sanction engagée à l'encontre de la société Lebanese Communication Group SAL ;

Vu la décision du 14 décembre 2004 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a décidé de poursuivre la procédure de sanction, au vu du rapport de présentation susvisé et connaissance prise des observations écrites de la société Lebanese Communication Group SAL susvisées ;

Après avoir entendu le 17 décembre 2004 les représentants de la société Lebanese Communication Group SAL ;

Considérant que, conformément à l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille à ce que les programmes des services de radio et de télévision ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2-3-1 de la convention susvisée la société doit notamment ne pas inciter à la haine, à la violence ou à la discrimination pour des raisons de sexe, de race, de religion ou de nationalité ; que la société doit en outre traiter avec pondération et rigueur les sujets susceptibles d'alimenter ou d'entraîner, en France et en Europe, des tensions et des antagonismes envers certaines communautés ou certains pays ;



Considérant qu'il ressort de l'article 2-3-3 de la convention susvisée que l'exigence d'honnêteté de l'information s'applique à l'ensemble des programmes, que l'éditeur s'interdit de recourir à des procédés susceptibles de nuire à la bonne information du téléspectateur, qu'il vérifie le bien-fondé de l'information, devant présenter l'information incertaine au conditionnel et que les journalistes ou présentateurs veillent à respecter une présentation honnête des questions conflictuelles ;

Considérant qu'il est établi que les propos suivants ont été diffusés le 2 décembre 2004 vers 23 h 30 sur le service de télévision Al Manar diffusé en France par la présentatrice du journal télévisé en langue française : « Israël mène une campagne sans précédent contre la chaîne Al Manar pour l'empêcher de diffuser en Europe. C'est ce qu'a avoué ce jeudi la télévision israélienne, qui a révélé que le gouvernement israélien a multiplié ses efforts, tirant les ficelles par ci et par là, pour empêcher la chaîne de télévision de révéler aux téléspectateurs européens, aux résidents étrangers en Europe, la réalité des faits et de la situation, les crimes contre l'humanité perpétrés par Israël, aussi bien en Palestine occupée que dans le monde... » ;

Considérant que les propos susvisés relèvent d'une ligne éditoriale de la chaîne mise en cause de manière réitérée à raison de la diffusion d'émissions gravement attentatoires à l'un au moins des principes mentionnés aux articles 1er, 3-1 ou 15 de la loi du 30 septembre 1986, ainsi que l'a estimé le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat dans ses ordonnances des 20 août 2004 et 13 décembre 2004, la dernière de ces deux décisions mettant d'ailleurs en avant la « perspective militante qui comporte des connotations antisémites » dans laquelle s'inscrivent un certain nombre de programmes diffusés par Al Manar ; que ces propos, qui ne sauraient donc s'analyser en dehors d'un contexte général qui est celui d'une chaîne militante libanaise « en lutte contre l'ennemi sioniste », ainsi qu'elle le revendique explicitement, mais diffusant par voie satellitaire à destination d'un public européen et plus particulièrement français vis-à-vis duquel ses dirigeants se disent eux-mêmes « conscients du fait que l'antisionisme militant d'Al Manar peut être interprété comme de l'antisémitisme », constituent dans ce contexte une incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de religion ou de nationalité ; qu'il ne peut être sérieusement contesté, en effet, que de tels propos, en ce qu'ils allèguent qu'Israël serait l'auteur de crimes contre l'humanité dans le monde et qu'il déploierait ses efforts pour que ces crimes ne puissent être révélés par Al Manar aux téléspectateurs européens, procèdent d'une provocation mystificatrice à connotation antisémite ; qu'ils portent donc atteinte au principe mentionné au dernier alinéa de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 et sont contraires aux stipulations de l'article 2-3-1 de la convention conclue le 19 novembre 2004 ;

Considérant, en outre, que lesdits propos constituent un manquement grave aux exigences d'honnêteté de l'information et à l'obligation de la chaîne de traiter avec pondération et rigueur les sujets susceptibles d'alimenter ou d'entraîner, en France et en Europe, des tensions et des antagonismes, envers certaines communautés ou certains pays ; qu'en effet, il ne saurait être contesté que l'information selon laquelle Israël aurait perpétré des crimes contre l'humanité est dénuée de tout fondement et relève d'une pure allégation mensongère, dans la mesure où les termes mêmes de « crimes contre l'humanité » recouvrent un concept juridique précis consacré par le droit international depuis l'accord de Londres du 8 août 1945 et le statut du tribunal militaire international de Nüremberg y annexé, ces principes de droit international du statut du tribunal de Nüremberg ayant été depuis lors confirmés par diverses résolutions et conventions de l'Organisation des Nations unies, et dans la mesure où, sur la base de ces textes, l'Etat d'Israël n'a jamais été déclaré coupable de crimes contre l'humanité devant une juridiction pénale internationale ; que des propos si manifestement contraires à la vérité, d'ailleurs reconnus comme « une évaluation inexacte de la réalité » par la société Lebanese Communication Group elle-même, et dont il ne peut être soutenu sérieusement, alors même qu'ils étaient exprimés en français et destinés à un public européen, qu'ils auraient été la simple référence à un extrait de verset d'une sourate du Coran assimilant l'auteur d'une tuerie ou de brigandages à un « meurtrier du genre humain », ne peuvent avoir pour effet à l'endroit des téléspectateurs qu'ils visent, en Europe et plus particulièrement en France, que de susciter le doute, la confusion ou la vindicte à l'encontre du pays désigné comme l'auteur de tels crimes supposés ou à l'encontre de ceux qui sur le territoire national lui apportent leur soutien, et, partant, d'attiser les tensions et les antagonismes envers certaines communautés ou certains pays ; qu'ils constituent une violation manifeste des stipulations des articles 2-3-1 et 2-3-3 de la convention conclue le 19 novembre 2004 ;



Considérant que, pour sa défense, la société Lebanese Communication Group SAL, qui a admis lors de l'audition contradictoire de ses dirigeants par le conseil le 17 décembre 2004 que les propos litigieux tenus à l'antenne le 2 décembre 2004 constituaient une « infraction » aux dispositions de la loi de 1986 et de la convention signée le 19 novembre 2004, fait notamment valoir dans ses écritures que « la chaîne de télévision Al Manar est résolue à respecter les obligations de son conventionnement » et qu'elle souhaite « pouvoir diffuser ses programmes en France et en Europe dans le respect de la loi française » ; qu'il y a lieu cependant de rappeler que de tels engagements ont été déjà pris par la chaîne à de nombreuses reprises sans que ceux-ci soient suivis d'effets, au contraire ; qu'ainsi, alors qu'elle exprimait devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat le 20 août 2004 son intention de respecter les lois de la République française et qu'elle affirmait dans une lettre du 17 septembre 2004 adressée au Conseil supérieur de l'audiovisuel qu'elle « s'engageait à respecter la loi française et prenait l'engagement formel de ne pas diffuser de programmes susceptibles d'inciter à la violence ou à la haine pour des raisons de religion ou de nationalité ou de porter atteinte à l'ordre public ou à la dignité de la personne humaine », il était constaté que certaines émissions, dont « Flambeau sur la route de Jérusalem » et « Princes du Paradis », diffusées respectivement les 14 septembre et 8 octobre 2004, ainsi qu'un clip musical intitulé « Jérusalem est à nous » diffusé le 10 octobre 2004 présentaient un contenu de nature à porter atteinte aux principes mentionnés aux articles 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986 ; que, malgré la présentation aux représentants de la chaîne des extraits significatifs de ces programmes au cours d'une réunion tenue au siège du conseil le 2 novembre 2004 pour les alerter sur le caractère incompatible de ces images avec les exigences de la loi de 1986 précitée et malgré la circonstance que le projet de convention transmis à la société éditrice était accompagné d'un courrier du conseil en date du 16 novembre 2004 précisant qu'au regard de cette convention les programmes visionnés le 2 novembre 2004 n'étaient pas compatibles avec les stipulations prévues aux articles 2-3-1 et suivants de la convention et indiquant que « la signature par vos soins de cette convention implique donc que vous renonciez formellement à la diffusion de programmes de cette nature », la chaîne, dont le président expliquait à la presse française (interview au journal Le Figaro du 25 novembre 2004) qu'« il ne devrait pas y avoir de modifications substantielles des programmes », a continué à diffuser des programmes gravement contraires à ses obligations conventionnelles comme au respect des articles 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986 ; que c'est d'ailleurs sur la base de ces programmes que le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a ordonné la cessation de diffusion de la chaîne après avoir estimé que « en dépit de ces avertissements [du CSA] qui auraient dû inciter les responsables de la chaîne à veiller au respect des obligations fixées par la convention signée le 19 novembre 2004 sur le fondement de l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986, ont été constatés [...] des manquements d'un particulière gravité aux dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 » et que « pris dans leur ensemble, les programmes s'inscrivent dans une perspective militante qui comporte des connotations antisémites » ; que, dès lors, le conseil ne saurait prêter un quelconque crédit à l'« intention de modifier ses programmes à l'effet de se conformer à la loi française » exprimée une nouvelle fois par la chaîne dans le cadre de la procédure devant le président de la section du contentieux du conseil d'Etat, et réaffirmée devant le Conseil lui-même au cours de l'audition contradictoire du 17 décembre 2004 ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Lebanese Communication Group SAL a ainsi méconnu l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée et les articles 2-3-1 et 2-3-3 de la convention susvisée ; qu'il ressort des articles 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée et 4-3-2 de la convention susvisée, que le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut, après mise en demeure préalable et compte tenu de la particulière gravité du manquement, prononcer la sanction suivante : la résiliation unilatérale de la convention ;

Après en avoir délibéré, Décide :


Article 1


La convention conclue le 19 novembre 2004 entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la société Lebanese Communication Group SAL est résiliée.

Article 2


La présente décision sera notifiée à la société Lebanese Communication Group SAL et sera publiée au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 17 décembre 2004.


Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Le président,

D. Baudis